Malek Bennabi
Ce soir, dans le monde musulman c’est le règne de la lumière qui se répand partout avec les effluves de ben¬join et les alléluas…
Les plus modestes foyer musulman allume son humble cierge et la clarté inaccoutumée qui auréole, ce soir, le repas chasse l’ombre qu’elle refoule dans les coins éloignées. Cette clarté se passe sans doute de justification comme symbole expressif d‘un nom et d‘une œuvre dont la signification respective pourrait se rendre, semble-t-il, par le même mot grec : le paraclet, annoncé jadis dans l’Evangile.
D’âpres certains philologues qui on en noté le singulier rapprochement, le paraclet désignait, en effet, aussi bien la « lumière » qui éclaire que la qualité de celui qui digne de louange, el mahmoud, c’est-à-dire Mohammad.
Quoi qu’il en soit, le cierge qui brûle ce soir, dans on soit le plus humble gourbi algérien, vient ainsi tous les ans proposer son thème inépuisable à la méditation du croyant.
Nous sommes à notre tour, sollicités par le thème qui nous invite à méditer, ce soir, sur l’un des plus grands jours de l’histoire humaine : celui de la naissance de Mohammad. Mais ce vissage prodigieux est riche de tant d’éblouissements que le regard curieux doit en quelque sorte se met¬tre derrière un diaphragme pour atténuer la lumière qu‘on reçoit, et réduire, en quelque temps, le champ de la vision à l’aspect essentiel qu‘on veut saisir.
Pour notre part, c’est l‘aspect du civilisateur qui nous sollicite parce qu‘il nous semble plus en rapport avec la grave préoccupation de l‘heure, celle qui trait- si dramatiquement- à l’avenir de la civilisation humaine. Encore, ne s’agit-il bien entendu, que d’effleurer seulement le sujet. En effet le rôle civilisateur du Prophète déborde le simple cadre musulman et même dans ce cadre là, il embrasserait trop de données, trop d’aperçus qui ne pourraient tenir dans les limites d’un article qui se défend d‘aperçus au surplus, d‘être une étude. Au demeurant, on y concède volontiers, au mouvement du cœur plus qu’on n’accorde à la rigueur de la raison, dans le simple souci de sacrifier à la pieuse tradition qui nous fait illuminer, en pareil jour.
D’ailleurs, l’étrangeté d’une étude et l’impuissante prétention de son auteur apparaîtraient d‘emblée, si l’on sait qu’il s’agirait, en fait, de traduire en quelque lignes, avec toutes ses incidences humaine dans toutes les implications, le phénomène le plus fulgurant le plus profond de l’histoire : celui de l’apparition de la civilisation musulmane.
Pour saisir un tel phénomène, il ne faudrait pas moins qu’embrasses d’un coup d’œil infaillible, et d’une part, tout le panorama millénaire de « l’histoire » arabe avant l’hégire, puis d’autre part, et du même coup d’œil suivre la fantastique et vertigineuse métamorphose qui s’opère instantanément, au sein du milieu djahilien, dés que Mohammad y apparut.
Mais voici qu‘il a fallu déjà mettre entre guillemets l‘histoire de deux ou trois millénaires parce qu’ils se caractérisent, en effet, d’une certaine manière, par leur produit historique sin¬gulier : un volume à peu près, de poésies anté-islamiques, couronné, il est vrai, par les dix ou douze chefs- d‘œuvre qu‘on nomme mo‘allaquat. Tel était, en un mot, avant Mohammad, tout le bilan du « génie » arabe. Et voilà encore un mot qu‘on est obligé de mettre entre guillemet pour dire sa valeur assez relative somme toute, en tant que facteur de civilisation, du moins s‘il n’était susceptible que de cette valeur-là. Il bien certain cependant, que d‘un point de vue purement formel, la notion même de civilisation musulmane deviendrait inintelligible si l‘on fait abstraction du génie arabe. comme moteur intellectuel essentiel qui devait propulsée dans tous les domaines où elle a pu enrichir le patrimoine humain.
Il semble donc à ce simple d‘œil, que si le génie humain est nécessaire pour propulser une civilisation, il n‘est pas, néanmoins dans la nature de le faire, de le faire spontanément sans une lumière surnaturelle qui vienne compléter, féconder la nature, y déposer le germe providentiel qui transfigure l‘homme et transforme son milieu.
C‘est un pareil germe déposé au sein du milieu djahilien, qui transforma jadis le génie arabe en réel facteur de civilisation, d‘une civilisation qui maria si heureusement la valeur spirituelle à la fécondité intellectuelle.
Sans s‘étendre autrement sur le rapport ontologique de la valeur rituelle à la fécondité intellectuelle, il suffirait de dire qu‘il s‘éclaira particulièrement ici, à la lumière qui avait jadis, dissipé brusquement les ténèbres qui enveloppaient,, avant Mohammad le génie arabe.
Ainsi, voyons-nous dans l’humble cierge qui brûle, en pareil jour, sous le toit le plus pauvre, le magnifique symbole et le plus expressif, du aa de Mohammad et de son œuvre marquent dans l‘histoire la naissance d‘une civilisation.
Mais aussi y voyons-nous le symbole de la renaissance, de l‘étape reprit vers ce but auquel le prophète s‘était pas lassé d‘appeler ses contemporains et qui lui était assigné, à lui même par la voix d‘en Haut, en termes si significatifs : « Si ce n‘était lui, disait en effet, le Coran, aaa pour un but rapproché et une aaa étape, ils (les Koréichites) t’aurait suivi ; mais l’étape leur apparaît longue.. »
Combien en effet, la faiblesse humaine préfère « le but rapproché » le succès immédiat, la victoire facile, l’inutile mais pompeux étalage à l’effort efficace, au travail obscur mais utile, à la persévérance qui exigent le travail de longue haleine, le but aaa
C‘est pourquoi l‘humanité, au cours de son histoire, a eu besoin de grand guides, comme Mohammad et, les autres prophètes, pour poursuivre aaa grande étape de sa civilisation.
In : Le jeune Musulman du 11 RABIÄ I 1372
28 NOVEMBRE 1952
1er année n° 10